Tracer les métaux lourds dans les eaux de surface
L'activité humaine a considérablement modifié les cycles biogéochimiques des éléments-traces métalliques (ETM), augmentant leur remontée vers la surface et entre les environnements superficiels. De nouvelles données sur les isotopes ont favorisé la création de meilleurs modèles en ce qui concerne les sources d'ETM, le transfert, la dynamique et les réactivités dans les systèmes dynamiques et multi-sources, conformément aux besoins des stratégies de contrôle des émissions destinées à lutter contre les origines et les conséquences de la contamination par les métaux.
Le bassin hydrographique de la Gironde et son estuaire (France) ont fait office de laboratoire dans le cadre du projet ISOGIRE financé par l'UE. L'équipe de chercheurs a étudié les isotopes stables de cuivre (Cu), de zinc (Zn) et d'argent (Ag) afin de mieux comprendre leur réactivité biogéochimique, leur source et l'évolution au fil du temps dans cet environnement fluvial et estuarien touché par une production viticole intensive, l'urbanisation et la résilience des contaminants provenant des affineries d'antan. L'Ag a été privilégié puisque les études isotopiques demeurent limitées, quoiqu'utiles pour faire face à la hausse de la concentration en Ag dans les eaux de surface et les organismes. Ce phénomène pourrait être lié à une utilisation plus importante des nanoparticules d'Ag dans les produits de consommation, ce qui ferait de l'Ag un nouveau contaminant.
Les résultats du projet ISOGIRE ont révélé que les signaux isotopiques transitoires de Cu dans l'eau douce atteignent l'estuaire en raison d'une bonification en Cu et une assimilation préférentielle des isotopes légers par le phytoplancton, avec une transposition possible des signatures de Cu anthropogéniques. La minéralisation de la matière organique dans l'estuaire amène à un ajout permanent de Cu dissous qui se caractérise par l'émission d'isotopes lourds en solution, suite au processus de Rayleigh. A l'inverse, le Zn a fait état d'une forte adsorption dans les particules des zones de turbidité estuarienne maximale, en raison d'une bonification des isotopes de Zn lourd en phase de dissolution. Les fleuves du monde entier semblent faire état des mêmes tendances. Dès lors, l'adsorption dans les particules pourrait être le principal phénomène à l'origine de la composition isotopique du Zn dissous à l'échelle mondiale.
Les signatures isotopiques de métaux dans les huîtres à l'embouchure de l'estuaire ont fourni de nouveaux éléments pour leur utilisation en veille biologique. Plus particulièrement, les signatures isotopiques inchangées du Cu, du Zn et de l'Ag pendant plus de 30 ans suggèrent que la réactivité biogéochimique estuarienne permet d'expliquer les compositions isotopiques des métaux bioaccumulables davantage que l'évolution temporelle des sources environnementales du bassin de la Gironde.
Enfin, l'étude a permis de faire la différence entre les sources de Cu et Zn naturelles et anthropiques sur la base des signatures isotopiques du bassin. Elle a démontré des réactivités biogéochimiques distinctes et des mécanismes de fractionnement isotopiques dans les eaux de l'estuaire. Les chercheurs ont par ailleurs épinglé l'usage limité de l'Ag isotopique pour tracer le nano-Ag à ce stade, à moins que l'industrie soit encouragée à doter les nanoparticules de l'un des isotopes légers ou lourds d'Ag.
Les nouvelles données isotopiques relatives à l'Ag, au Cu et au Zn ont donné lieu à de nouveaux modèles pour l'interprétation des variations géochimiques et isotopiques dans les fleuves et les estuaires ainsi que dans les organismes locaux. Ces modèles favoriseront une meilleure évaluation de la pollution côtière et des stratégies plus efficaces pour réduire la contamination et les menaces pour l'environnement et la santé publique.
publié: 2015-05-15