Un scalpel «intelligent» contre le cancer, la criminalité et la pollution
Le cancer est l'une des maladies les plus problématiques pour la médecine. Rien qu'au Royaume-Uni, on compte chaque année 300 000 nouveaux cas, conduisant à près de 2 millions d'opérations chirurgicales par an. Grâce à un financement du CER, le Dr Zoltán Takáts de l'Imperial College London a mis au point un scalpel «intelligent» capable de «sentir» les tissus qu'il découpe, révolutionnant ainsi le traitement du cancer, l'analyse des aliments et des médicaments ou encore la recherche sur le «microbiome» humain.
Baptisé «iKnife» par les chercheurs, cet instrument utilise un
spectromètre de masse pour analyser la «fumée» produite par un scalpel
qui fonctionne à l'aide d'uncourant électrique à haute fréquence. Le
chirurgien reçoit alors en temps réel des informations sur la nature
cancéreuse ou non des tissus qu'il incise.
Le projet du Dr Takáts, intitulé «DESI – JEDI», a déjà abouti à un
test réussi, communiqué dans la revue Science of Translational Medicine,
qui a suscité l'intérêt de la presse. Durant cette étude, le projet a
développé une base de données des signatures de différents cancers
(cerveau, sein, poumons et côlon) à partir de prélèvements effectués sur
plus de 300 patients. Le scalpel iKnife a ensuite été utilisé lors de
80 opérations, générant à chaque fois des résultats en temps réel
correspondant à l'analyse classique des tissus réalisée après
l'intervention.
«Lorsque nous avons fait la première proposition en 2007, nous
n'espérions pas que le projet irait aussi loin», déclare le Dr Takáts.
«Mais dans les six semaines après la publication de notre article, nous
avons effectué nos expériences cliniques et démontré que la technologie
était prête à l'emploi. Nous sommes donc maintenant tout près de
commencer les essais cliniques officiels, dans l'optique des
approbations réglementaires.»
Une révolution de toute beauté
Les spectromètres de masse mesurent le rapport masse/charge des
particules ionisées (dotées d'une charge électrique) en leur faisant
traverser des champs électriques ou magnétiques. Ils s'en servent pour
analyser la composition chimique et la structure des échantillons.
L'idée révolutionnaire du Dr Takáts vient de ce qu'il a réalisé que
les nouvelles techniques chirurgicales (par ultrasons, lasers ou
électricité) produisaient des particules chargées à partir des tissus,
représentant une entrée idéale pour un spectromètre de masse. Son
premier test expérimental, très simple, avec un foie de porc et des
instruments chirurgicaux trouvés dans le commerce, avait remarquablement
bien fonctionné et obtenu des résultats bien meilleurs que ce qu'il
escomptait.
«Avec un outil aussi fantastique, nous avons immédiatement pensé aux
utilisations. Nous avons cherché les cas pour lesquels un spectromètre
de masse pouvait changer les choses.»
Jusqu'ici, le chirurgien devait faire une biopsie (prélever un
morceau de tissus) puis la faire analyser par un laboratoire
d'histopathologie (ce qui demande au moins 40 minutes) avant de savoir
s'il lui fallait continuer l'opération. Mais l'iKnife se contente de
pomper un peu d'air pour aspirer des particules depuis l'organe opéré et
les envoyer au spectromètre de masse, et le système informe
immédiatement le chirurgien s'il doit ou non continuer à découper des
tissus pour éliminer toutes les cellules tumorales ou enflammées. Le
fait de laisser le maximum de tissus intacts améliore les résultats de
l'opération et la qualité de vie des patients.
Des sciences à la chirurgie
«Nous passons maintenant aux essais cliniques officiels», ajoute le
Dr Takáts. «Nous espérons pouvoir commencer en début d'année les tests
de chirurgie cérébrale.»
La concrétisation du projet n'était pas une mince affaire, car il
fallait finaliser les trois éléments de l'instrument avant de commencer
les essais cliniques: l'électro-scalpel, la base de données
d'identification et de diagnostic, et le spectromètre de masse
personnalisé pour le site de l'opération. En effet, la conception de
l'appareil ne peut pas être modifiée après son approbation.
«La subvention de validation de principe accordée par le CER a été
d'une importance critique», souligne le Dr Takáts. «La subvention de
démarrage nous a permis de mettre en place le groupe de recherche et
d'effectuer les travaux scientifiques, mais nous avions réellement
besoin du financement pour la validation de principe afin d'aborder les
questions réglementaires, gérer la propriété intellectuelle et lancer
une société pour commercialiser l'instrument.»
L'iKnife a été conçu pour l'électrochirurgie car c'est la méthode de
prédilection des oncologues, mais il peut être adapté à la chirurgie
par laser ou par jet d'eau. Il pourrait aussi servir à analyser des
muqueuses ou les systèmes respiratoire, urogénital et gastro-intestinal.
Son intérêt en matière d'analyse de substances et de tissus a
conduit l'équipe à engager des discussions avec le secteur alimentaire
et les organismes de lutte contre le crime. Il pourrait aussi être très
intéressant pour les microbiologistes, en accélérant la création de
bases de données des peuplements microbiens hébergés par notre corps.
«Les millions de bactéries qui vivent à l'intérieur de nos
organismes mais également sur nous pourraient être associées à des
cancers ou à des maladies comme le diabète», suggère le Dr Takáts. «Leur
identification pourrait faciliter le diagnostic et le traitement. Nous
disposons maintenant d'un outil unique pour étudier dans le détail ces
interactions, qui pourraient conduire à de nouvelles approches et
thérapies.»
- Source: Dr Zoltán Takáts
- Coordinateur du projet: Imperial College London, Royaume-Uni
- Titre du projet: Development of mass spectrometric techniques for 3D imaging
- Acronyme du projet: DESI – JEDI imaging
- http:// (Site web du projet DESI – JEDI imaging)
- Programme de financement du 7e PC (Appel du CER): Subvention de démarrage 2008 et subvention Validation de principe 2012
- Financement de la CE: 1 750 000 EUR
- Durée du projet: 5 ans
publié: 2015-01-20